Analyse: La désillusion et l'abus chez Zola et Lang

La désillusion et l’abus de la classe prolétaire durant la Révolution industrielle dans Germinal d’Émile Zola et Metropolis de Fritz Lang



C’est au XVIIIème et XIXème siècles que les faiblesses de l’agriculture et de la production d’énergie se font sentir. Les moyens de subsistance ne sont pas suffisants et ne réussissent pas à combler les besoins de tous. Les outils utilisés sont désuets et ne donnent pas un bon rendement et les sols souffrent de « l’extrême parcellisation du sol »[1]. Les bovins dont on se nourrit ne sont pas assez nombreux et cela entraîne des famines. C’est à ce moment que naît donc une nouvelle réforme qui crée un exode rural. Une grande partie de la population européenne migrera vers les villes afin de travailler dans les usines qui usent d’une nouvelle technologie : la machine à vapeur. Cette nouvelle réforme amène l’essor de l’industrialisation et crée une nouvelle classe sociale : la classe ouvrière. Germinal[2] d’Émile Zola  et Metropolis[3] de Fritz Lang offrent deux visions différentes de la Révolution industrielle. Écrit en 1885, Germinal offre une vision sombre de la vie des mineurs en France. Le contraste entre la bourgeoisie et la classe ouvrières est fort. La critique qu’Émile Zola en fait l’est tout autant. Zola, chef de fil du courant naturaliste, dépeint ses personnages de façon réaliste et d’ainsi faire vivre à ses lecteurs la misère de la classe prolétaire. Réalisé en 1929, Metropolis met en scène une ville où, encore une fois, les ouvriers vivent de mauvaises conditions de travail. Ainsi, ces deux œuvres démontrent le contraste entre les classes sociales. Germinal et Metropolis, bien qu’étant différents dans leur démarche, traitent tous deux de la désillusion et de l’abus de la classe prolétaire durant la Révolution industrielle. La désillusion est provoquée par un désenchantement face aux conditions de vie de la classe ouvrière. Tous espéraient un essor industriel qui serait profitable à tout le monde, mais la classe ouvrière se rend compte que la Révolution industrielle ne leur est pas profitable. Elle ne l’est que pour les patrons. En plus de voir leurs espoirs déçus, les prolétaires, est victime d’abus de la part de leurs patrons. Le contrôle physique et psychologique exercé sur eux met en lumière un usage excessif de pouvoir.
1. La désillusion
 1.1 La désillusion dans Germinal
 Germinal nous amène dans la maisonnée des Maheu. Rien ne bouge. On dépeint l’endroit comme étant sale et l’on peut même percevoir une odeur âcre. Catherine, la fille aînée, se réveille et c’est à ce moment que la misère ouvrière se fait sentir. La description y est si réaliste que l’on ressent presque l’étroitesse des lieux :
« Dans le lit de gauche, Zacharie, l’aîné, un garçon de vingt et un ans, était couché avec son frère Jeanlin, qui achevait sa onzième année; dans celui de droite, deux mioches, Lénore et Henri, la première de six ans, le second de quatre, dormaient aux bras l’un de l’autre; tandis que Catherine partageait le troisième lit avec sa sœur Alzire, si chétive pour ses neuf ans, qu’elle ne l’aurait même pas sentie près d’elle, sans la bosse de la petite infirme qui lui enfonçait les côtes. La porte vitrée était ouverte, on apercevait le couloir du palier, l’espèce de boyau où le père et la mère occupaient un quatrième lit, contre lequel ils avaient dû installer le berceau de la dernière venue, Estelle, âgée de trois mois à peine » [4]
Cette citation représente bien les conditions de vie des mineurs durant la Révolution industrielle. Il s’agit du portrait type d’une famille trop nombreuse pour l’espace dans lequel elle vit. Les mauvaises conditions de vie de ces personnages ne s’arrêtent cependant pas là. Les mines de Montsou décrites dans Germinal font travailler les jeunes enfants et les vieillards, ce qui entraîne des maladies qui n’auraient pas lieu d’être en temps normal, telles que l’anémie, les scrofules, la bronchite noire, l’asthme, les rhumatismes et les maladies cardio-vasculaires.
Émile Zola utilise l’écriture naturaliste dans Germinal. Le naturalisme est un courant littéraire né au XIXème siècle qui s’oppose au romantisme. Les écrivains, tel Émile Zola, qui l’utilisent appliquent une écriture strictement littéraire et documentée afin de décrire de façon réaliste les personnages, leurs actions et l’environnement dans lequel ils vivent[5].  Le choix lexical que fait Zola à travers son œuvre fait clairement sentir la misère dans laquelle les ouvriers travaillaient. En effet, le style d’écriture d’Émile Zola comporte beaucoup de descriptions et d’énumérations. Ainsi, ces procédés stylistiques mettent l’accent sur des aspects, tels que la misère, en utilisant des figures de style telles que la gradation ou l’énumération. Dans le roman Germinal, le plus âgé de la famille Maheu souffre grandement des conditions de travail des mineurs.
«  C’était Maheu qui souffrait le plus. En haut la température montait jusqu’à trente-cinq degrés, l’air ne circulait pas, l’étouffement devenait mortel »[6].
Cette citation démontre les conditions de travail inhumaines et les conséquences de celles-ci. Émile Zola utilise la description catalogue, c'est-à-dire le souci de la reproduction du réel par une liste énumérative de sujets/thèmes[7].  L’auteur du roman Germinal écrit de manière minutieuse afin que le lecteur croie ce qu’il lit. De plus, afin de faire entrer le lecteur dans l’univers des mines de Montsou, Émile Zola utilise plusieurs points de vue à travers l’écriture de son roman. Outre Étienne, le protagoniste de l’histoire, les autres personnages deviennent également narrateurs de ce qui se passe. En devenant tour à tour les narrateurs internes d’une même histoire, une intimité est créée avec le lecteur. Ce dernier peut plus facilement s’associer aux divers personnages et à ce qu’ils vivent. Ainsi, en un seul roman, plusieurs « journaux intimes » sont inclus et par conséquent, un effet de réalisme est ajouté par cette focalisation interne. De plus, Émile Zola a lui-même visité des mines avant d’écrire Germinal, afin de pouvoir se baser sur des faits réels ayant eu lieu durant cette période[8]. C’est ce souci du réalisme et de l’authenticité des conditions de vie et de travail qui témoignent de toutes les recherches qu’a dû faire l’auteur de Germinal pour arriver à cette œuvre achevée. La citation suivante inclut des termes plus techniques propres au métier de mineur et met donc en lumière le minutieux travail de documentation d’Émile Zola :
« À la trente-deuxième échelle, comme on dépassait un troisième accrochage, Catherine sentit ses jambes et ses bras se raidir. D’abord, elle avait éprouvé à la peau des picotements légers. Maintenant elle perdait la sensation du fer et du bois, sous les pieds et dans les mains. Une douleur vague, un peu cuisante, lui chauffait les muscles. [...] Les crampes de ses membres devenaient insupportables, jamais elle n’irait jusqu’au bout »[9]
Ainsi, les conditions de travail dans les mines sont plus que déplorables : le narrateur de cet extrait décrit précisément les maux de Catherine causés par les longues journées passées dans le fond des mines. Outre les vieillards et les enfants, même les jeunes adultes qui seraient censés être au sommet de leur forme ne sont pas en mesure de supporter de telles conditions. Cette citation illustre le courant du naturalisme de par les descriptions concises qui sont faites. Une gradation est utilisée afin d’illustrer le mal que le personnage ressent. L’extrait décrit tout d’abord un mal plus général qui se précise par la suite. On passe de picotements légers sur la peau à une sensation du fer et du bois sur les pieds et les mains, puis à une douleur cuisant dans les muscles. De plus, les personnages font face à leur condition. Ils savent que ce n’est pas acceptable, mais qu’ils y sont soumis. C’est pourquoi ils sont désillusionnés: c’est la fatalité de leur sort de devoir subir ces conditions de travail et de vie déplorables.
 La médiocrité des salaires, l’insalubrité des lieux causant diverses maladies, les trop longues journées non adaptées aux mineurs et leur désillusion ont tôt fait de provoquer de l’animosité au sein de la population. En effet, les ouvriers ne sont pas satisfaits de leur condition et savent qu’ils peuvent avoir mieux. Le protagoniste, Étienne, est le premier à amener l’idée de syndicat, car, venant d’ailleurs, il a vu d’autres ouvriers se révolter contre les propriétaires des mines. Se forment donc des regroupements de gens qui prennent tour à tour la parole afin d’animer les masses contre les conditions qu’affligent les dirigeants. Des grèves auront lieu sans que lesdits dirigeants ne sévissent ni même n’apportent aucun changement. La majorité des ouvriers iront même jusqu’à faire une révolte et à cesser de travailler. Toutefois, ces révoltes ne sont pas à leur avantage, puisque leur salaire et la nourriture qu’ils mangent sont gérés par leurs patrons qui eux, peuvent décider à n’importe quel moment de baisser les salaires ou de fournir moins de nourriture.  Par conséquent, il n’y aura pas de changement. Du moins, pas dans le roman. Étienne change de ville afin de se trouver un autre emploi et garde l’espoir qu’un jour, les masses s’imposeraient et auraient raison de la classe bourgeoise qui contrôle les prolétaires. Les ouvriers deviendraient donc « une armée noire, vengeresse, qui germait lentement dans les sillons, grandissant pour les récoltes du siècle futur, et dont la germination allait faire bientôt éclater la terre »[10].
Cette citation est une métaphore présente tout au long du roman. La population ouvrière est comparée à un germe qui comme les mineurs grandira pour finalement faire surface et prendra la place qu’elle mérite. La métaphore de la «germination» peut donc être comparée à la naissance des syndicats.
1.2 La désillusion dans Metropolis

Image tirée du film Metropolis

 Fritz Lang dépeint lui aussi un fort contraste entre la bourgeoisie et la classe prolétaire. Le long-métrage commence avec une écriture blanche sur fond noir: Metropolis. Plus qu’une simple ville, Metropolis est le contraste entre la classe prolétaire et la bourgeoisie. Les premières images du long-métrage commencent avec les ouvriers de la Basse-Ville qui entrent travailler. Leur expression faciale est morose, leur visage est bas et blême et leurs yeux soulignés de traits noirs accentuent la fatigue qui les accable. D’un pas lent, mais automate, les ouvriers entrent à leur poste et s’apprêtent à passer plus de quinze heures au même endroit, sans pause. Ce ne sont plus des employés, mais des robots. L’Homme y est illustré comme une machine humaine qui ne peut évidemment pas supporter les conditions dans lesquelles elle travaille, puisque ces travaux sont conçus pour une machine. Ainsi, en donnant à leurs ouvriers des tâches que seule une machine peut accomplir, les patrons de Metropolis infligent des conditions non adaptées à leurs capacités. D’où la fatigue imprégnée sur le visage de ces gens. Puis, la caméra transporte ses spectateurs en un lieu totalement différent. Un homme est entouré de plusieurs femmes vêtues de déguisements aguichants. Elles dansent telles des nymphes dans le paradis d’Éden. Le contraste entre la scène précédente et celle-ci illustre le nœud de l’intrigue de Metropolis. En effet, la Basse et la Haute-Ville sont imagées (puisqu’il s’agit d’un film muet) de manière à ce que le spectateur distingue la classe prolétaire et la classe bourgeoise. Cependant, lorsque l’homme du jardin, Freder Fenderson, voit une ouvrière pénétrer dans l’enceinte de la Haute-Ville, celui-ci en tombe amoureux et décide de se rendre à la Basse-Ville afin de la retrouver. Là, il y découvrira les mauvaises conditions de travail des ouvriers, la répétition des mouvements consécutifs que ceux-ci doivent faire sans relâche heure après heure, jours après jour.  Bref, cette descente dans la Basse-Ville fera découvrir à Freder Fenderson, le fils du patron de la ville de Metropolis qui est en fait une « ville-machine », tout ce qui lui a été caché depuis son enfance : il découvre la misère ouvrière. Choqué par ces découvertes, Freder se rend au bureau de son père afin d’avoir des explications, mais celui-ci le renvoie d’un revers de la main. Le fils décide alors d’aider les ouvriers en prenant la place de l’un d’eux. Il se joindra aux révoltes des ouvriers. C’est donc suite à ces découvertes que Freder Fenderson se trouve totalement désillusionné. Fils du patron de Metropolis, Freder vivait dans l’ignorance. Il n’était pas conscient qu’une Basse-Ville existait et que là, des milliers d’hommes étaient maltraités. Sa naïveté allait jusqu’à penser que son père était un homme juste, aimable et incapable de tels traitements. Ayant toujours vécu dans son univers confortable, riche et pratiquement dépourvu de problème, si ce n’est que de choisir quelle « femme d’amusement » il prendra, le protagoniste de ce long-métrage ne sait comment réagir devant tant d’injustice. Devant lui : misère, fatigue, pauvreté, travail sans relâche. Si les visages des ouvriers étaient cernés de noir, le sien est blanc, oui, mais d’un blanc pur comme son être, puisqu’avant ce jour, aucune goutte de sueur n’avait perlé sur son front. En prenant la place de l’ouvrier, Freder Fenderson entre dans la roue de l’industrialisation et dit adieu au monde utopique dans lequel il vivait. Il troquera même ses habits propres pour les haillons des ouvriers : Freder Fenderson entre réellement dans la peau d’un travailleur. Il s’agit de l’alliance entre le peuple et le capitalisme industriel[11].
Metropolis offre sa vision de la désillusion de ses personnages par le courant expressionniste en offrant une esthétique incroyable où s’entremêlent métaphores et images significatives qui malgré l’absence de paroles, s’agencent de manière à hypnotiser le spectateur dans un univers noir et blanc où tout est futuriste[12]. En effet, puisqu’il s’agit d’un film muet, les personnages doivent exagérer leurs expressions faciales afin de transmettre l’émotion recherchée. Ainsi, le désespoir, la fatigue et la misère des ouvriers de la Basse-Ville sont illustrés par de larges mouvements et par des expressions faciles miséreuses qui démontrent l’ampleur de leur épuisement.
Par conséquent, ce sont principalement par le biais des gestes des personnages que l’on comprend leur désillusion. En effet, Maria, une ouvrière désireuse de changer les conditions de travail des ouvriers et de leur redonner espoir, organise une réunion secrète dans les catacombes de la Basse-Ville. Là, pendant que Maria raconte une histoire touchante, les têtes des ouvriers se baissent, les genoux touchent le sol et c’est alors que l’on comprend la désillusion des personnages sous toutes ses formes. Même Freder Fenderson, le fils du patron, se joindra à cette réunion et sera ému par les paroles de Maria. Cela démontre à quel point la désillusion du protagoniste est grande puisqu’il décide de prendre part aux travaux des ouvriers et de s’allier contre le pouvoir : son père.  Et cela, bien qu’il faisait partie de la tête de Metropolis et donc du pouvoir. Il désire participer à la révolte et tenter de donner aux ouvriers les droits qu’ils méritent. Le père de Freder Fenderson et l’inventeur de la « ville-machine » tentent de mettre des bâtons dans les roues de cette révolution, mais après plusieurs revirements de situations, tous deux meurent et Maria et Freder Fenderson forment une alliance. Une période d’unité s’installe suite à ces évènements.

1.3 Similarités et différences entre Germinal et de Metropolis à travers le thème de la désillusion
La désillusion est traitée de deux points de vue différents dans Germinal d’Émile Zola et dans Metropolis de Fritz Lang. D’une part, ces deux œuvres illustrent le contraste entre les classes sociales. Cependant, la focalisation interne dans Germinal se passe principalement dans la tête des ouvriers, dont Étienne, tandis que dans Metropolis, elle se passe dans la tête de Freder Fenderson. Cela provoque des divergences, puisque ces deux narrateurs ne font pas partie de la même classe sociale. Bien que Metropolis et Germinal mettent en lumière le combat des ouvriers contre le capitalisme et la bourgeoisie, Metropolis démontre un autre combat, plus personnel cette fois-ci. Il s’agit de sa lutte pour se dégager de cette classe pour laquelle il ressent de moins en moins d’appartenances.
De plus, bien que dans les deux cas les personnages principaux de ces œuvres soient désillusionnés, c’est principalement la classe ouvrière qui est déçue face à la non-efficacité de leurs grèves contre les conditions de travail qu’ils subissent. Cependant, une autre forme de désillusion est illustrée dans Metropolis. Il s’agit de la découverte de la Basse-Ville par Freder Fenderson. En effet, celui-ci était totalement ignorant de l’ignorance de cette «autre ville» et cela cause chez lui un désenchantement, puisqu’il ne croyait pas son père capable de tels traitements envers des êtres humains.
Germinal met également en lumière une situation conflictuelle entre la classe bourgeoise et les prolétaires. Les bourgeois ont de la pitié envers leurs employés et les employés de la haine envers eux. Le grand-père de la famille Maheu ira même jusqu’à tenter d’égorger la fille des propriétaires des mines de Montsou. Cet acte de violence est en fait un acte de vengeance devant les conditions qu’ils subissent et la perte d’espoir des ouvriers : ils sont totalement désillusionnés.  En comparaison, le film Metropolis, bien qu’offrant une vision conflictuelle de ces deux classes sociales, met également en lumière une alliance entre la bourgeoisie et la classe prolétaire.  En somme, ces deux œuvres, bien que différentes, dénoncent toutes deux les piètres conditions dans lesquelles vivaient les ouvriers et la désillusion de ceux-ci quant au manque total d’action de la part de leurs patrons.
2. L’abus
2.1 L’abus dans Germinal
La désillusion des personnages de Germinal est le résultat de l’abus des patrons envers les mineurs. En effet, les personnages de Germinal sont victime d’abus du début à la fin de l’œuvre d’Émile Zola. Hommes, femmes, enfants et vieillards subissent le même sort. Cela offre un contraste marquant avec les conditions de vie qu’a la société d’aujourd’hui. En effet, depuis quelques années, la Déclaration internationale des droits de l’Homme a ajouté une loi afin de protéger les êtres les plus vulnérables : les femmes et les enfants[13]. Germinal n’en est pas là. C’est pourquoi, dès l’âge de cinq ans, ceux-ci sont forcés d’aller travailler dans les mines et cela dans les mêmes conditions que les autres. Ils doivent donc travailler douze heures par jour, six jours par semaine. Ces travaux trop exigeants pour des enfants et des femmes sont mis en contexte par le souvenir de Catherine, l’un des personnages de Germinal :
« Et dans l’étourdissement qui l’envahissait, elle se rappelait les histoires du grand-père Bonne mort, du temps qu’il n’y avait pas de goyot et que des gamines de dix ans sortaient le charbon sur leurs épaules, le long des échelles plantées à nu; si bien que, lorsqu’une d’elles glissait, ou que simplement un morceau de houille déboulait d’un panier, trois ou quatre enfants dégringolaient du coup, la tête en bas»[14]
Cette citation met en lumière l’abus des jeunes enfants durant la Révolution industrielle. Nul ne se préoccupait de leur droit, ni de s’ils avaient la capacité physique ou non d’accomplir le travail demandé. Encore une fois, le réalisme de l’écriture de Zola transparait dans cet extrait de par la manière crue de parler de la mort de ces jeunes enfants. C’est à travers la voix de Catherine que ces paroles sont relatées et l’on sent une part d’émotivité et de frayeur dans sa voix, tout en y décelant également un ton de voix qui dévoile la normalité de la chose. C’est à travers ce détachement que le réalisme de Zola transparaît. L’auteur relate une situation qui était normale à cette époque et qui maintenant, indignerait quiconque constaterait de tels traitements imposés à des enfants.
Un des vieillards présents dans Germinal éprouve également une sorte de détachement face à l’abus dont il est victime:
« Oui, oui... On m’a retiré trois fois de là dedans en morceau, une fois avec tout le poil roussi, une autre avec de la terre jusque dans le gésier, et la troisième avec le ventre gonflé d’eau comme une grenouille... Alors, quand ils ont vu que je ne voulais pas crever, ils m’ont appelé Bonnemort, pour rire. [...] Longtemps, ah oui!... Je n’avais pas huit ans, lorsque je suis descendu, tenez! Juste dans le Voreux, et j’en ai cinquante-huit, à cette heure. Calculez un peu... j’ai tout fait là-dedans [...] Hein? C’est joli, cinquante ans de mine, dont quarante-cinq au fond!»[15] 
Cette autre citation dépeint la même situation, mais du regard d’un «vieillard ». Bien qu’il n’ait pas réellement l’âge que l’on accorde aux vieillards de notre époque, il reste que durant cette période, avoir travaillé plus de cinquante ans dans les mines faisait de vous un vieillard, puisque les conditions de travail faisaient vieillir les gens plus vite qu’à la normale. C’est encore une fois d’un ton cru que la situation de ce mineur est racontée. Et encore une fois, cette situation est racontée comme la plus normale des choses, un brin d’humour est même décelable.
Victimes d’abus, les personnages de Germinal décident de se révolter contre leurs patrons. Ils décident de cesser de travailler, mais sans succès. Les risques que les travailleurs courent sont trop grands. En effet, les patrons ont pratiquement le droit de vie ou de mort sur leurs employés. Ainsi, lorsque les mineurs décident de cesser de travailler, les patrons ne leur accordent aucune attention et décident de baisser les salaires afin d’exercer une pression sur ceux-ci. Les mineurs décident donc majoritairement de retourner au travail, car sans cela, c’est la mort qui les attend. En plus d’avoir le pouvoir de modifier leur salaire, les patrons sont ceux qui fournissent la nourriture dans les mines. Il s’agit donc d’un autre moyen de pression. Dès que les mineurs se rebellent le moindrement, les patrons coupent les vivres. Ce contrôle accru qu’exercent les propriétaires et les patrons des mines est indéniablement de l’abus envers les mineurs.
Ainsi, face à ces injustices, naîtront les syndicats. Dans Germinal, l’idée flotte dans l’air et certains sont désireux de se rallier à la cause, mais la majorité a trop peur ou est trop désillusionnée pour être optimiste face à de quelconques changements dans leurs conditions de vie et de travail. Le roman Germinal se termine donc sur une note on ne peut plus triste, bien que le personnage principal, Étienne, continue d’espérer qu’un jour les ouvriers auront les conditions de travail qu’ils méritent:
«Vaguement il devinait que la légalité, un jour, pouvait être plus terrible. Sa raison mûrissait, il avait jeté la gourme de ses rancunes. Oui, la Maheude le disait bien avec son bon sens, ce serait le grand coup: s’enrégimenter tranquillement, se connaître, se réunir en syndicats, lorsque les lois le permettraient; puis au matin où l’on sentirait les coudes, où l’on se trouverait des millions de travailleurs en face de quelques milliers de fainéants, prendre le pouvoir, être les maîtres. Ah, quel réveil de vérité et de justice!»[16]
Cet extrait met en lumière l’espoir que gardait une partie des ouvriers de Germinal. Et bien que cette œuvre littéraire soit d’un effroyable réalisme, il y a tout de même une pointe d’espoir, presque d’utopie qui flotte dans ces dernières phrases.
2.2 L’abus dans Metropolis

Image tirée du film Metropolis

Metropolis offre également une vision de l’abus des prolétaires ayant eu lieu durant la Révolution industrielle. En effet, aucune distinction n’est faite entre hommes, femmes et enfants. Tous sont vêtus de la même manière et ont le même visage dévasté, cerné de noir. Fritz Lang, par le biais de la force des images, met tous les ouvriers sur le même pied d’égalité. Tous fonctionnent de la même manière. Bien que ces ouvriers soient des êtres humains, le cinéaste de Metropolis les présente comme des robots. En effet, leur démarche et leurs gestes lorsqu’ils travaillent  sont présentés de manière automatique, c’est-à-dire par des gestes saccadés et répétitifs... comme des robots.  Ainsi, les premières images de la Basse-Ville illustrent l’entrée des ouvriers: tous ont la tête baissée et leurs mouvements sont synchronisés et leur marche en cadence. Metropolis est surnommée la «ville-machine» et c’est pour cette raison que les ouvriers sont perçus par leurs employés comme des robots. L’abus est représenté par cette vision des prolétaires. Ce sont les gestes des personnages qui démontrent leur fatigue et ainsi les conséquences de cet excès de pouvoir dont ils sont victimes. Un bon exemple de ce thème est lorsque Freder Fenderson descend à la Basse-Ville et constate cet abus dont il ignorait l’existence. Celui-ci décide de prendre la place d’un des ouvriers. Cela démontre donc que Freder est conscient de cette injustice et qu’il désire se battre contre cela. Fritz Lang, comme mentionné précédemment, démontre cette iniquité par la conformité à laquelle sont soumis les ouvriers.
Cet abus provoque des soulèvements de la part des ouvriers. C’est Maria, l’une des ouvrières, qui planifie des réunions afin de donner espoir aux ouvriers. Elle leur parle d’un messie qui viendrait les sauver de ces injustices qu’ils subissent en disant que les ouvriers sont les bras et les patrons la tête, mais que pour qu’une entente se forme, il faut que la tête et les bras connectent avec le cœur. Lors de l’une de ces réunions, le patron de Metropolis réussit à s’infiltrer et à entendre le message de Maria. Un contrôle plus accru se formera donc envers la classe prolétaire, puisque celui-ci ne veut pas perdre son pouvoir.
C’est évidemment cet abus qui crée des révoltes au sein de Metropolis et qui fait que les patrons exercent leur pouvoir sur leurs employés afin de les empêcher de se révolter.
2.3 Similarités et différences entre Germinal et Metropolis à travers le thème de l’abus
Les principales similarités résident dans l’abus que vit la classe prolétaire face à leurs patrons. Dans Germinal, la situation des enfants et des vieillards est particulièrement mise en lumière et dans Metropolis, c’est une vision qui offre moins de focalisation interne sur l’abus que chacun des ouvriers vit qui est illustré. C’est dans cela que réside la majeure différence entre Metropolis et Germinal. Outre cette divergence, les deux œuvres sont similaires quant à la révolte des ouvriers et au contrôle les patrons. De plus, dans les deux œuvres, les «syndicats» ne réussiront pas à gagner leur cause, mais ils garderont tout de même espoir en une forme de justice et d’égalité pour tous.
La révolution industrielle est une période qui fut prospère pour plusieurs et meurtrière pour ceux qui y travaillèrent de leurs mains. Plusieurs y laissèrent leur vie au profit de l’industrialisation et de l’enrichissement des patrons. Germinal et Metropolis sont deux œuvres qui mettent en lumière une période difficile durant laquelle abus et désillusion ont été vécus par les victimes de la Révolution industrielle: la classe prolétaire. Ces deux œuvres offrent une vision d’une même période, mais vécue de manière différente. Germinal se concentre principalement sur la manière dont sont vécuent l’abus et la désillusion parmi les ouvriers des mines de Montsou, alors que Metropolis illustre l’intrusion d’un membre de la bourgeoisie parmi les prolétaires. Ainsi, la majeure différence entre ces deux œuvres se situe dans la focalisation du narrateur. Dans Metropolis, c’est Freder Fenderson qui est désillusionné par les mauvaises conditions de vie et de travail que subissent les employés de son père. Toutefois, il reste que l’abus et la désillusion, bien que vécue différemment, sont tout de même deux thèmes présents dans ces deux œuvres. En outre, bien que la société occidentale dans laquelle nous vivons veille à protéger nos droits, il reste que certains pays en développement se font exploiter par nous, les pays industrialisés. Ce sont pour ces pays que l’on doit désormais se battre. Les multinationales les exploitent et si les travailleurs tentent de se révolter comme dans Germinal ou dans Metropolis, ce n’est pas par la baisse de salaire que les patrons réussissent à calmer leurs employés, mais tout simplement en délocalisant leurs entreprises. L’abus et la désillusion de la Révolution industrielle ne sont donc pas si loin derrière nous…


Médiagraphie
ELSAESSER, Thomas, Metropolis, Londres, The British Film Institute, 2000, 87 p.
FAUCHEREAU, Serge, Expressionnisme dada surréalisme et autres ismes, Paris, Denoël, 1976, 266 p.
HORCAJO, Carlos, Le Naturalisme – un mouvement littéraire et culturel du XIXème siècle, Paris, Magnard, 2002,  159 p.
LANG, Fritz. Metropolis (cinema), Autriche, (1927).
LANGLOIS, Georges, VILLEMURE, Gilles, Histoire de la civilisation occidentale, Laval, Beauchemin, 1996, 378 p.
LOCHAK, Danielle, Les droits de l’homme, Collection Repères, Édition La Découverte, Paris, 2009, 127 p.
POTELET, Hélène, Germinal – Émile Zola, Paris, Hatier, 1999, 127 p.
ZOLA, Émile. Germinal, Livres de poche, Paris, 1885, 638 p.







[1] LANGLOIS, Georges, VILLEMURE, Gilles, Histoire de la civilisation occidentale, p.268.
[2] ZOLA, Émile. Germinal, France, (1885).
[3] LANG, Fritz. Metropolis (cinema), Autriche, (1927).

[4] ZOLA, Émile, Germinal, p. 18.
[5] HORCAJO, Carlos, Le Naturalisme – mouvement littéraire et culturel du XIXème siècle, p.29 à 31.
[6] ZOLA, Émile, Germinal, p. 41.
[7] HORCAJO, Carlos, Le Naturalisme – mouvement littéraire et culturel du XIXème siècle, 46-47.
[8] POTELET, Hélène, Germinal – Émile Zola, p. 44.
[9]  ZOLA, Émile, Germinal, p. 301.
[10] ZOLA, Émile, Germinal, p. 503.
[11] ELSAESSER, Thomas, Metropolis, p. 56.
[12] Ibid, p.39.
[13] LOCHAK, Danielle, Les droits de l’homme, p.80.
[14] ZOLA, Émile, Germinal, p. 301
[15] Ibid, p. 10-11.
[16] ZOLA, Émile, Germinal, p. 501-502.